"LES MEDIAS SONT DANS MÉLANGE
D'OLIGARCHIE ET D'AFFAIRISME"
D'OLIGARCHIE ET D'AFFAIRISME"
copie de l'entretien réalisé pour l'Huma-Dimanche du 15 septembre 2015
par Nadège Dubéssay, Pierre Lab et Dominique Sicot.
Journaliste,
cofondateur de Mediapart,
Laurent Mauduit publie « Main basse sur l'information » (Éditions Don
Quichotte). Cette enquête révèle comment et pourquoi une dizaine de
milliardaires s'accaparent, en France, les médias au détriment du droit à
l'information. Un péril que l'on peut conjurer, selon lui, en s'appuyant sur
l'appétit de nos concitoyens pour une information de qualité.
Ce
samedi 24 septembre, Laurent Mauduit le tagarin en voisin
est venu dédicacer son livre à la Maison de la Presse de Saint Quay Portrieux tenue par M Le Bourdonnec ; les exemplaires du
bouquin se sont vendus comme des petits pains ..à juste titre.
Huma-Dimanche. Comment analysez-vous la concentration actuelle de la
presse entre les mains de quelques milliardaires ?
Laurent Mauduit. La période de la Libération est fondatrice dans notre
histoire contemporaine. Une des premières propositions des « Jours heureux »,
le programme du Conseil national de la Résistance, est d'instaurer une presse
indépendante des puissances financières. À cette époque où la presse se
refonde, tous les journaux dans leurs sensibilités multiples cherchent à
garantir leur indépendance dans des formes juridiques différentes. En 1952, «
le Monde » crée une forme juridique qui donne aux journalistes la propriété du
journal. « Libération » reprendra cette forme lors de sa création. Beaucoup de
journaux créent des coopératives ouvrières comme « le Courrier picard », « le
Parisien libéré » ou « le Dauphiné libéré ». L'idée d'indépendance fait à
l'époque consensus. Les résistants d'obédience chrétienne-démocrate qui
deviennent propriétaires du « Parisien libéré » partagent cette conviction avec
la SFIO, le PCF ou le mouvement syndical.
Depuis, nous vivons une dilution progressive des valeurs du CNR, mais, ces dernières années, l'histoire s'est accélérée. On l'a vu sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, nous sommes entrés dans le capitalisme du Fouquet's, un capitalisme de connivence, consanguin. Les derniers titres indépendants sont tombés dans l'escarcelle de ces milliardaires. C'est l'irruption de Bolloré, de Drahi ou du trio Niel, Pigasse, Berger. C'est le rachat récent du « Parisien » par le groupe LVMH de Bernard Arnault. C'est la fin de l'histoire débutée avec le CNR. La situation de la presse est une illustration de la régression démocratique que nous vivons.
Depuis, nous vivons une dilution progressive des valeurs du CNR, mais, ces dernières années, l'histoire s'est accélérée. On l'a vu sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, nous sommes entrés dans le capitalisme du Fouquet's, un capitalisme de connivence, consanguin. Les derniers titres indépendants sont tombés dans l'escarcelle de ces milliardaires. C'est l'irruption de Bolloré, de Drahi ou du trio Niel, Pigasse, Berger. C'est le rachat récent du « Parisien » par le groupe LVMH de Bernard Arnault. C'est la fin de l'histoire débutée avec le CNR. La situation de la presse est une illustration de la régression démocratique que nous vivons.
HD. « Libération », « l'Express »... les médias propriété
de Drahi font l'objet d'un bouquet Internet compris dans l'abonnement SFR. En
quoi est-ce une menace ?
Laurent Mauduit. Les dangers
sont multiples.Outre celui de la concentration, il y a la porosité entre
l'actionnaire et le média qu'il contrôle. A-t-on évalué les dangers que
représente Drahi ? Regardez i24news. Il y a sur cette chaîne israélienne, qu'il
possède, une véritable police linguistique. Les territoires occupés y sont des
« implantations ». On ne parle pas de juifs « extrémistes » mais de «
jusqu'au-boutistes ». Le troisième danger, c'est la remise en cause du service
public de la messagerie qui distribue les journaux et qui permet aux citoyens
de les acheter dans des conditions identiques. Seuls les titres faisant partie
du bouquet SFR auront accès au portail SFR.
Le principe d'universalité de la diffusion est remis en cause. Ces oligarques sont devenus opérateurs de téléphonie, on leur a accordé un bien public en leur accordant des fréquences. Mais la puissance publique n'a pas jugé bon d'obliger tous les opérateurs Orange, SFR... à mettre à la disposition des citoyens, par leurs réseaux, tous les titres possibles.
Le principe d'universalité de la diffusion est remis en cause. Ces oligarques sont devenus opérateurs de téléphonie, on leur a accordé un bien public en leur accordant des fréquences. Mais la puissance publique n'a pas jugé bon d'obliger tous les opérateurs Orange, SFR... à mettre à la disposition des citoyens, par leurs réseaux, tous les titres possibles.
HD. Quel est l'enjeu pour ces milliardaires ?
L. M. La
singularité de ces milliardaires, à la différence des opérateurs de presse à
l'étranger comme le groupe Bertelsmann en Allemagne ou Murdoch dans les pays
anglo-saxons, c'est que la presse n'est pas leur métier. Leur métier, c'est
l'armement, le luxe... Souvent, ils dépendent de la commande publique, il y a
donc conflit d'intérêts et ils ont des relations de connivence avec le pouvoir
politique.
Ils
achètent ces titres dans une logique non pas industrielle mais de connivence ou
d'influence. Pour Patrick Drahi, produit de la finance folle les banques lui
ont accordé en deux ans 50 milliards d'euros d'endettement , s'offrir «
Libération » pour 8 millions d'euros, c'est rien ! Mais, grâce à cela, il peut avoir
accès à Hollande. Comme ils disent dans leur jargon, c'est un « accélérateur de
business ». C'est une protection pour leurs affaires.
HD. On connaît la porosité entre dirigeants politiques,
économiques et financiers. Avec ces oligarques mettant la main sur les médias,
la concentration des pouvoirs est totale. Certains personnages jouent, eux, les
entremetteurs...
L. M. C'est un
système oligarchique. Un système de pouvoir, de domination qui survit à toutes
les alternances. Un Alain Minc ou un Jacques Attali sont assez révélateurs de
ces gens qui font les essuieglaces : un jour, ils conseillent Sarkozy ; le
lendemain, Hollande. Mais ils conseillent toujours la même chose.
Des politiques néolibérales sur un fond d'affairisme. La presse est gravement victime de cela. Alain Minc a été président du conseil de surveillance du « Monde » pendant très longtemps. Emmanuel Macron je le raconte dans le livre , à l'époque où il était associé de la Banque Rothschild, est venu voir des journalistes de la Société des rédacteurs du «Monde» pour leur proposer, bénévolement, son aide, au moment où le titre était à vendre en 2010. En fait, secrètement, il travaillait pour le camp d'en face. Prenez encore David Kessler. Il est d'abord proche de certains dirigeants de Bygmalion, il contribue à la campagne de quelqu'un de droite dans la course à la présidence de France Télévisions en 2007.
Puis, il devient conseiller médias et patron du pôle médias de Matthieu Pigasse, ce banquier dirigeant de Lazard qui se dit de gauche. Ensuite, il devient conseiller médias de François Hollande à l'Élysée. Puis, il quitte l'Élysée, passe chez Orange, et contribue à la campagne pour que Delphine Ernotte quitte Orange et obtienne le poste de PDG de France Télévisions. Il a aussi épaulé Pascal Houzelot, le propriétaire de la chaîne Numéro 23, qui a obtenu gratuitement une fréquence et la revend deux ans et demi après, en faisant une plus-value de 88,5 millions d'euros. On est dans un mélange d'oligarchie, d'affairisme. Et les parcours de certains sont très emblématiques.
Des politiques néolibérales sur un fond d'affairisme. La presse est gravement victime de cela. Alain Minc a été président du conseil de surveillance du « Monde » pendant très longtemps. Emmanuel Macron je le raconte dans le livre , à l'époque où il était associé de la Banque Rothschild, est venu voir des journalistes de la Société des rédacteurs du «Monde» pour leur proposer, bénévolement, son aide, au moment où le titre était à vendre en 2010. En fait, secrètement, il travaillait pour le camp d'en face. Prenez encore David Kessler. Il est d'abord proche de certains dirigeants de Bygmalion, il contribue à la campagne de quelqu'un de droite dans la course à la présidence de France Télévisions en 2007.
Puis, il devient conseiller médias et patron du pôle médias de Matthieu Pigasse, ce banquier dirigeant de Lazard qui se dit de gauche. Ensuite, il devient conseiller médias de François Hollande à l'Élysée. Puis, il quitte l'Élysée, passe chez Orange, et contribue à la campagne pour que Delphine Ernotte quitte Orange et obtienne le poste de PDG de France Télévisions. Il a aussi épaulé Pascal Houzelot, le propriétaire de la chaîne Numéro 23, qui a obtenu gratuitement une fréquence et la revend deux ans et demi après, en faisant une plus-value de 88,5 millions d'euros. On est dans un mélange d'oligarchie, d'affairisme. Et les parcours de certains sont très emblématiques.
HD. Ce n'est pas la presse toute seule qui ne va pas bien,
c'est notre démocratie, vous le soulignez d'ailleurs dans votre livre. Comment
peut-on renverser la vapeur face à une crise d'une telle ampleur ?
L. M. La presse n'a
jamais été aussi dégradée et, en même temps, il y a une révolution
technologique majeure, avec un instrument démocratique qui offre une place
nouvelle aux citoyens à travers le participatif.
Ce qu'il faudrait réformer, ce n'est pas seulement le droit de la presse, c'est aussi le droit au savoir des citoyens, car le numérique ouvre les possibilités en termes de transparence publique, d'accès à des documents administratifs, et offre des possibilités démocratiques beaucoup plus fortes. La plupart des partis refusent d'envisager de telles réformes. Les milieux d'affaires ont l'aide de la puissance publique française pour essayer de garantir le secret des affaires.
Je
pense que l'un des combats démocratiques majeurs réside dans la conception d'un
système qui favorise la création de nouveaux journaux au service des citoyens.
À Mediapart, nous militons pour la création de sociétés citoyennes de presse
inachetables par les capitalistes. Il faut refonder, reprendre le débat qui
prévalait à la Libération. À Mediapart, nous gagnons de l'argent que nous
allons réinvestir, et c'est une bonne nouvelle pour tout le monde. Si vous
faites bien votre métier, les citoyens sont au rendez-vous. Nous ne vivons pas
une crise de la demande, mais de l'offre. Les citoyens sont en demande d'une
information de qualité. Internet le permet. L'information y est beaucoup moins
verrouillée. L'écriture y est innovante. C'est une fenêtre de liberté.Ce qu'il faudrait réformer, ce n'est pas seulement le droit de la presse, c'est aussi le droit au savoir des citoyens, car le numérique ouvre les possibilités en termes de transparence publique, d'accès à des documents administratifs, et offre des possibilités démocratiques beaucoup plus fortes. La plupart des partis refusent d'envisager de telles réformes. Les milieux d'affaires ont l'aide de la puissance publique française pour essayer de garantir le secret des affaires.
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